Image du corps et réalité de l'être
Si l'obésité est souvent étudiée dans le domaine de la sociologie, l'obésité n'est pas un moindre problème à traiter du point de vue de la psychanalyse, car il existerait autant de symptômes que d'individus. Pourtant il est possible de repèrer dans une multiplicité de cas certaines récurences. L'image que nous nous faisons de notre corps est très différente de la réalité extérieure et objective de celui-ci. On peut se sentir "mince" et ne pas l'être, ou au contraire, se sentir "gros" et ne pas l'être .Cette sensasion qui se confond avec l'image inconsciente du corps peut aussi varier selon les moments, au cours de la journée. Il y a ce que nous nous sentons, et ce que le hasard d'un reflet aperçu dans une vitre nous donne à voir de surprenant, de ce que nous ignorons de nous même. Il y a aussi le regard des autres, de celui ou celle que l'on aime et dont on espère la validation, ou le regard de la société à l'aune des images stéréotypées des magazines et du cinéma, ou à l'aune de ce que la science médicale pose comme norme de santé.. Dans toutes ces normes, où situer notre corps et sa masse, à partir de quel point en soi, lui attribuer beauté, charme ou laideur. Peut on considérer que cette image rend compte de notre être, ou le paraitre est-il quelque chose de nous sur laquelle nous ne pourrions avoir de responsabilité?
Dans un deuxième temps, peut on considérer que cette image de nous-même puisse changer, et si c'est le cas quelle motivation en avons nous? Quelle sens donner à cette métamorphose? Doit on considérer l'apparence comme frivole? Doit on accepter les choses ataviques comme une fatalité et les accepter comme ce qu'il y aurait de véritable dans notre destin naturel, ou modifier jusqu'au moindres détails du paraitre pour qu'il corresponde à l'idée qu'on en a? On peut mesurer ce que la question du corps ouvre d'espaces de questionnements vertigineux sur ce que nous sommes.
L'obésité questionne dans une société qui plébiscite la minceur et la maigreur. Que peut on lire dans ces signes de cette philosophie du moment? Plus l'on aime la minceur, plus les cas d'obésité augmentent. Ils mettent en perspective la beauté et la non-beauté, la sexualité et l'a-sexualité du genre, la désincarnation et le matérialisme. S'interroger en psychanalyste sur l'obésité, c'est envisager la maigreur comme son correllaire . Où chercher du sens? Là dans le corps des "parlêtres" que nous sommes, comme le disait Lacan, où tombe l'ombre des mots non reconnus et non dits.
Nous faisons implicitement la distiction entre ce que nous sommes et ce que nous paraissons; mais est-ce si vrai? La vie n'est elle pas en définitive un théatre de manifestations éphémères dont la consistance finit inexorablement par être douteuse.
"¨Etre Gros"
La "grosseur" n'a pas été considérée de la même manière selon les époques, ou dans toutes les cultures. Elle fut aussi un signe de prospérité et de santé quand l'accés à la nourriture n'était évidente qu'aux plus privilégiés. Le corps est ce que nous voyons de nous-même et sentons de nous même, il est un territoire imaginaire, qui surgit sur le champ de la conscience, sous forme de sensations, d'impressions, de vocalisations, d'images., sous forme de signes.
Quand nous dormons, nous n'avons pas de problème de poids ou de vieillissement, ou de genre. Dans le rêve, bien qu'il soit possible que nous nous voyions, cela est très rare, et quoi que nous ayions conscience d'être, la question du corps est posée autrement. Dans le rêve, nous ne nous identifions plus, ni comme une femme ou un homme, ni comme un corps précis, nous devenons des" shape-shifters", des mutants car le monde du rêve est flottant et fébrile. Si nous y apparaissons, c'est comme une présence, un halo ou comme une forme différente. Il n'y a pas la pesanteur, ni la modulation des impressions circulantes qui envahissent notre état de veille en permanence lui donnant une continuité illusoire.
Donnons du sens à ce corps qui parle.
Celui ou celle qui grossit, donne à voir son propre corps comme "prenant ou gagnant du poids" comme en importance, en place; il se densifie dans la matière et l'espace et arrête le temps. Ses mouvements deviennent difficiles. Il ne peut plus aller vers le monde sans entrave. Il y a là un refus inconscient d'aller et de devenir. C'est un "stop" imposé. Tout se passe comme si le corps refusait de perdre sa substance, comme si la personne attendait que le monde vienne à elle au lieu de l'inverse. Manger le monde au lieu d'être mangé.
Si le poids (obésité) n'est pas nécéssairement le résultat d'une prise excessive de nourriture, il est le signe d'un arrêt dans le métabolisme, d'une impossibilité de dépenser, d'évoluer, de vivre et de devenir,. C'est à l'évidence, un signe que l'être, dans sa profondeur, est gelé dans une attitude régressive. Loin de moi l'intention de discréditer les personnes atteintes de ce mal .Il s'agit au contraire de révéler le drame secret et douloureux que les personnes obéses vivent tout au long de leur vie.
L'obésité a quelque chose à dire de la violence faite au sujet dans les familles et les cultures. Un mal très profond et morbide.
Guérir et lire d'avoir un corps encombrant: la question de la cause
Les problèmes du corps ne sont pas seulement des problèmes de corps à régler à coup de régimes ou de méthodes comportementalistes visant un résultat normatif. Il n'est pas très pertinent de vouloir modifier l'effet sans interroger les causes en premier lieu. Ce n'est qu'après un premier aperçu de ces causes que l'on pourra, peut-être, décider de méthodes pour réguler l'addiction, le débordement ou l'absence de limites structurelles intérieures ou nébulosité des repères afin de modifier la façon de vivre, à la faveur d'un devenir plein d'espèrance..
La question de la cause de l'obésité, comme de tant d'autres symptomes au lieu du corps est souvent bien plus sociologique et philosophique qu'on ne l'imagine . Et en effet, sans cette réflexion menée en amont, ou parallèlement au traitement de la perte du poids, quel sens peut on trouver à faire un régime draconien, ou à modifier son mode de vie de fond en comble? Comment s'imposer une discipline, et qu'elle ne finisse pas en rituel de pénitence associé à la férocité du jugement social? Comment faire siennes les méthodes pour retrouver le goût de vivre et le narcissisme de jouir d'un corps modéré, sans ce "'trop"dont l'intensité servait de repère dans le néant .
Corps de sens
Dans mon expérience, la question du sens est le coeur de toute thérapie. Contrairement à ce que pense la majorité, la psychanalyse est "une pratique du corps," et la psychanalyse non-duelle est une pratique exploratoire "des corps". C' est un éveil à la sensorialité, qui fait lien avec l'image du corps. Le corps est l'espace où les expériences existentielles de l'individus s'éprouvent et peuvent être lues comme un langage. La raison en est que nous sommes les seules créatures qui nomment les choses que nous percevons. Notre corps est ainsi aussi une chose, ou un ensemble de choses, partifiées dont nous nommons le contour et faisons sans cesse récit.
Le corps est un espace de sensations archaïques où tout est signé de ce que le sujet a enregistré depuis sa naissance, et peut-être de "bien avant sa naissance". Pour peu qu'on lui accorde un peu d'intérêt et d'attention, on commence à comprendre qu'il existe là une autre dimension d'être que celui de l'image sociétale. Il existe une autre façon de s'appréhender soi-même, en-dessous du brouhaha du monde extérieur. Le corps est mémoire, texture de sens, principe sombre, semblable à une terre première sur laquelle tous les évènements s'impriment, jusqu'aux plus dérisoires.
La mère parasite
Dans la tradition mystique, le corps est le principe féminin. L'informe matière première d'où tout semble surgir. Elle semble nous précéder. Nous ne la maitrisons qu'à coup de disciplines féroces et guerrières et la méprisons lorsqu'il nous semble qu'elle trahit notre vouloir, parce qu'elle ne suit pas les contours que nous voudrions lui alouer.
Le corps est à la fois visible aux autres et invisible dans sa totalité, à nos propres yeux. Nous le subissons parce qu'il est jugé " trop petit" ou" trop grand", ou "trop gros", ou jugé disgracieux, trop féminin, ou trop masculin. "Trop", de toutes façons. Mais qui juge donc ce trop? A partir d'où?
Pourquoi tient-il du principe féminin? Le corps des femmes est un lieu de passage. Il est traversé par les mouvements hormonaux, de grandes modifications de forme et d'humeur qui faisaient dire aux anciens que les femmes n'étaient pas fiables car trop changeantes comme les phases de la lune. Il est pénétrable, et traversable. On y entre, on en sort. Des mystéres s'y produisent, la vie et la mort. Le corps de la femme accumule la graisse par endroit, et de l'eau, du sang coule : signe de na nécessité des origines de l'espèce. La biologie s'impose. Tout au long de son existence, la femme voit son corps violemment soumis au rythme de la nature, à la convoitise des hommes, à la maltraitance des sociétés, et au dictat de la beauté dont le mépris de sa nature est plus évident que l'on souhaite se libérer du genre. L'idéal occidental est d'être androgyne, moins de sein, moins de fesses et de cuisses. Tout débordement de la chair est condamné, objet de mépris et parfois d'injure. Voici le contaxte de la grossophobie.
Le surpoids, L'obésité et son opposé l'anorexie ont évidemment à voir avec le principe féminin, la question du genre et la pé-éminence de la mère dans le vécu du sujet. IL semble que l'anaorexie soit surtout un fait de notre époque contemporaine et des sociétés occidentales
Dans l'obésité féminine ou masculine, le genre est arasé. L'individu obése est désexualisé. Il n'est plus considéré comme un homme, ni une femme, IL n'est plus considéré par la société ni par lui-même. IL a la forme d'un poupon. Heureusement, des femmes et des hommes obéses commencent à revendiquer leur beauté et leur sexualité, mais cela reste marginal.
Que ce passe t-il donc pour ces individus? Sont ils soumis à une névrose de genre? Ou y a t il une influence plus profonde, antérieure à la différenciation sexuelle?
Dans de nombreux cas que j'ai pu observer, l'obésité est liée au surinvestissement de la mère. La prise de nourriture est associée à la mère, comment celle-ci à nourri son enfant et comment elle se nourrit elle-même. Mais ce n'est que la partie extérieure du problème. La racine du problème vient du surinvestissement psycho-énergétique de la mère au lieu de l'enfant.
Si la mère surinvestit le corps de l'enfant, c'est peut-être parce qu'elle même à été surinvestie et ne sait pas faire autrement , ou parce qu'elle n'a pas trouvé d'autre espace d'expression et d'accomplissement dans sa vie extérieure, amoureuse ou sociale. Quand on a pas investi son territoire intérieur, on va "parasiter" ou "se loger" dans le corps de l'autre qu'est l'enfant. "Elle vit à travers son fils ou sa fille", comme on le dit sans se rendre compte vraiment qu'il s'agit là d'une réalité. Si l'on ne trouve pas de sens à sa propre vie, on parasite la vie des autres. On utilise leur énergie, leur imaginaire, et leurs désirs. Pour la mère, le danger est grand d'utiliser son enfant comme véhicule, comme l'enfant à utilisé la mère comme véhicule pour venir au monde et se développer. Cette symbiose tourne mal si la mère ne parvient pas à se rendre compte qu'elle doit "lâcher l'affaire" et revenir à sa vie propre pour s'y accomplir. Elle doit considérer son corps autrement que dans sa fonction maternelle et trouver une autre satisfaction dans une réalisation personnelle . Il va sans dire que le rôle de l'homme comme amoureux et père est fondamental en tant qu'il sépare la mère et l'enfant. Il le détourne ainsi de l'attitude régressive fusionnelle pour lui désigner que sa place est dans son devenir . Cela ne peut se produire que larce qu'il comprend bien ce en quoi il est indispensable, et parce qu'il est soutenu par le désir et le respect de sa femme.
l'obésité n'a pas qu'une cause. Elle a des causes. Toutefois quand notre corps semble ne plus nous appartenir, ne pouvant pas collaborer à la relative maitrise qu'on lui impose, il est important de se demander: mais alors, si ce corps ne m'appartient pas, à qui appartient-il? Par qui est-il donc investi? Cette investigation nous conduit inéxorablement à réfléchir sur ce qu'il est vraiment.